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La place de l’Afrique dans le nouveau Pacte Financier Mondial

Par La Prospérité
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*Poser la bonne question, au bon moment, au bon endroit.

(Par Christian Gambotti)

Agrégé de l’Université – Président du Think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact: cg@afriquepartage.org

Nouveau Contexte

*Les 22 et 23 juin 2023, s’est tenu, au Palais Brongniart, à Paris, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Annoncé en novembre 2022, à l’issue de la COP 27, ce Sommet, impulsé par Emmanuel Macron, le président français, et Mia Mottley, Premier ministre de la Barbade, a réuni 40 chefs d’Etats et de gouvernement, des représentants d’institutions financières internationales, des acteurs du secteur privé et de la société civile.  Economiste de formation, coorganisatrice de ce Sommet, Mia Mottley est considérée comme la voix des pays du Sud qui subissent l’impact du réchauffement climatique.

En 2021, le discours accusateur qu’elle a prononcé, lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies, contre l’égoïsme des pays riches, l’a propulsée sur le devant de la scène dans la lutte contre la crise climatique. Le Sommet de Paris exprime, incontestablement, la volonté de poser différemment la question du pacte financier mondial qui existe, depuis les années 1980, sous la forme du « Consensus de Washington », un accord tacite entre le FMI (Fonds Monétaire International) et la BM (Banque Mondiale), avec le soutien du Trésor américain, pour aider financièrement, à certaines conditions (1), les pays en développement d’Amérique latine. Le « Consensus de Washington », qui a été généralisé à tous les pays en développement, notamment en Afrique, est fortement contesté pour avoir diminué ou supprimé les capacités d’intervention de l’Etat, livré les économies nationales aux capitaux étrangers, imposé la privatisation des entreprises publiques et préconisé l’austérité budgétaire (2) de façon aveugle, sans tenir compte de la spécificité et des besoins des pays africains, en particulier les plus pauvres.

Poser la bonne question, au bon moment, au bon endroit

Il existe plusieurs manières de poser la question de l’architecture du pacte financier mondial, notamment celle des « Altermondialistes » qui restent enfermés dans des postures d’accusation. Le débat porte aujourd’hui sur le « Consensus de Washington » et les alternatives proposées par Pékin et Paris.

Le « Consensus de Washington » – Dans les années 1980, lorsqu’ils répondent à la question « quel pacte financier mondial mettre en œuvre ? » pour accompagner l’Afrique, les experts du FMI et de la Banque mondiale posent la bonne question au bon moment. Mais le « Consensus de Washington » s’inscrit dans le droit fil de l’héritage de Bretton Woods, architecture financière internationale bâtie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que les trois quarts des Etats n’existaient pas encore. Le « Consensus de Washington » défend la ligne d’une orthodoxie budgétaire et un corpus de mesures libérales favorable aux pays riches. Avec l’effondrement du communiste, le triomphe de la pensée libérale, incarné dans le reaganisme et le thatchérisme, est total. Aujourd’hui, FMI, la Banque mondiale et les Banques Multilatérales de Développement (BMD) apparaissent comme des instruments financiers dépassés, profondément injustes et qui perpétuent les inégalités à un moment où les pays africains en développement doivent affronter de multiples crises et leurs conséquences (dette, crise climatique, pauvreté). Faut-il -il en rester au consensus de Washington » ? Evidemment, non. Une réforme des institutions financières internationales s’impose. Cette réforme, en débat depuis longtemps, devient urgente, car il s’agit de répondre aux besoins de financement des grands pays émergents et des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, notamment face à la crise climatique.  Faut-il rappeler que 97 % des personnes affectées par les conséquences de la crise climatique vivent dans les pays en développement ? Washington, toujours dominé par le souffle de l’esprit ultra libéral et l’idée qui fait de la démocratie la clé du développement économique, n’est plus le bon endroit pour poser la question du pacte financier mondial.

Le « Consensus de Pékin (Beijing) » – C’est en 2004 que l’Américain Josha Cooper Ramo emploie l’expression « Consensus de Pékin » pour l’opposer, idéologiquement, au « Consensus de Washington ». En réponse aux experts du « Consensus de Washington », qui voient la mondialisation comme une convergence des modèles de développement fondée sur le modèle occidental néolibéral, le « Consensus de Pékin » est une alternative fondée sur le modèle chinois. La doctrine du « Consensus de Pékin » doit se lire comme une volonté de rupture avec l’Occident et les anciennes puissances coloniales : non-ingérence, respect mutuel, exaltation d’un Etat fort et des régimes néo-autoritaires, même s’ils « oublient » les droits humains, divorce entre la croissance et la liberté, etc. La réussite économique de la Chine lui permet d’imposer son modèle et de vassaliser, et à travers la « Nouvelle Banque de Développement » (3) les membres des BRICS (4). Créée en 2014, comme alternative au FMI et à la Banque mondiale, l’objectif de cette banque est d’aider les pays membres des BRICS à s’affranchir de la tutelle du FMI et de la Banque Mondiale. Elle prévoit aussi d’aider les pays du Sud. Le « Consensus de Pékin », s’il pose la bonne question sur la nécessité de construite un « pacte financier mondial », le fait de façon très idéologisée.

Shangaï est-elle le bon endroit pour réorienter la finance mondiale sans ouvrir un front anti-occidental ? Ce n’est pas sûr. Est-ce le bon moment pour exacerber les tensions entre le Nord et le Sud ? Ce n’est pas sûr, non plus. Le « Consensus de Pékin » est, en réalité, plus agressif et plus contraignant pour les pays endettés. La dette chinoise représente une vraie menace pour l’Afrique.

Le « Consensus de Paris » – Emmanuel Macron, avec ce Sommet organisé à Paris les 23 et 24 juin, poursuit, inlassablement, la réalisation d’une feuille de route qui permettrait de réaliser un consensus complet Nord-Sud sur les grands sujets qui concernent l’avenir de l’humanité.  Pour Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI, « c’est le futur de l’Humanité qui est en train d’être discuté » à Paris. Macron n’oublie pas qu’une réforme en profondeur du système financier mondial suppose que soient validées par tous les pays les décisions prises. Comment avancer sans les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil, etc. On peut regretter que la Russie se soit isolée du reste du monde avec son invasion de l’Ukraine. Chacun a pu s’exprimer les 23 et 24 juin à Paris. Lors de la journée de clôture, le président brésilien Lula, le président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa et le Premier ministre chinois Li Qiang ont adopté une position coordonnée qui est celle des BRICS. Ils ont tenu à dénoncer les institutions financières internationales, tout en faisant part de leur vision de la gouvernance mondiale. Ce qui a changé, et le Sommet de Paris en porte témoignage, c’est le point suivant : lorsque les pays du Sud parlent, le monde écoute. Heureux présage pour la série de rendez-vous d’une importance capitale qui se profilent : Sommet des BRICS en août, en Afrique du Sud (5), Sommet du G20 en septembre en Inde, réunions d’automne de la Banque mondiale et du FMI, COP 28 en fin d’année à Dubaï. Paris est sûrement le bon endroit et le bon moment pour poser les premières pierres d’un consensus complet Nord-Sud sur le pacte financier mondial.

Conclusion

Les dirigeants africains n’ont pas hésité à interroger l’Occident sur la manière dont les pays riches viennent en aide à l’Afrique sur des questions étroitement liées : le développement, la lutte contre la pauvreté, les financements indispensables à la transition énergétique et à l’adaptation des plus vulnérables au réchauffement climatique. Le président kényan, William Ruto, a pris la parole lors du « Sommet de Paris » en posant aux pays occidentaux la question suivante : « Comment osez-vous ? ». Il accuse l’Occident d’être à l’origine d’un système financier mondial « qui a piégé les pays pauvres ». Mahamat Idriss Déby, le président tchadien, est intervenu sur la question de la dette, appelant « à la suppression pure et simple de la dette des pays africains », afin de « compenser les dégâts énormes causés par le dérèglement climatique ». La difficulté vient de ce que, lorsqu’un pays africain voit sa dette supprimée par l’Occident, il se tourne immédiatement vers la Chine pour s’endetter à nouveau. Or, la Chine est aujourd’hui le premier créancier des pays africains. Sur les 6,3 milliards de dollars de la dette zambienne, Pékin en détient les 2/3. Les difficiles négociations sur la restructuration de la dette de la Zambie, actée lors de la première journée du « Sommet de Paris », n’ont pu aboutir que parce que le Premier ministre chinois était présent à Paris. Après le Tchad, la Zambie est de deuxième pays qui obtient une restructuration de sa dette dans le cadre commun du G20, un cadre qui associe la Chine aux négociations entre les créanciers. Une réforme de la finance mondiale ne peut pas se faire en dehors d’un consensus global Nord-Sud. Le « Consensus de Washington » et le « Consensus de Pékin » appartiennent à un monde ancien qui considère que le futur de l’humanité passe par un affrontement entre le Nord et le Sud. William Ruto, le président du Kenya, considère, à juste titre, que les tensions entre le Nord et le Sud sont stériles et qu’elles oblitèrent l’avenir de l’Afrique et de l’humanité.

En marge du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, Lula, le président brésilien, a déclaré que les pays riches ont une « dette historique » sur l’environnement et qu’ils doivent payer pour les dommages qu’ils ont causés à la planète terre. Faut-il parler de dette morale qui obligerait les pays développés, « ceux qui ont pollué la planète ces 200 dernières années » à travers une révolution industrielle qui les a enrichis, à payer ? Si Lula a raison d’évoquer les dommages historiques à l’environnement dont les pays riches sont responsables, il est temps de sortir de l’idéologie de la dette morale et d’une aide au développement qui n’aide pas véritablement l’Afrique. L’Afrique n’a besoin ni de charité, ni d’une succession de programmes d’aide qui ne sont jamais à la hauteur des besoins, ou de plans de restructuration des dettes, puits sans fond de l’endettement (6), elle demande que soit mise en œuvre une véritable coopération entre les pays en développement et les pays riches. L’objectif d’un avenir partagé est incompatible avec la notion d’aide. Le concept d’aide au développement appartient à une sémantique néocoloniale qui symbolise une dépendance toujours plus forte à l’endettement non-productif. Le financement de l’Afrique ne relève pas d’une aide. Il s’agit d’investissements afin de garantir le développement de l’Afrique, afin de préserver l’avenir de l’humanité. Je reviens à ce que disait Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI : « c’est le futur de l’Humanité qui est en train d’être discuté » à Paris. L’Afrique n’est pas le problème, elle n’est pas responsable de l’instabilité du monde, ni du dérèglement climatique. Elle subit, avec plus d’impact, les conséquences des crises successives, alors qu’elle est, dans tous les domaines, le continent-solution. La RDC, avec le deuxième plus grand couvert forestier tropical au monde (7), est un acteur-clef de la lutte contre le réchauffement climatique. Dès l’instant que le financement de la lutte contre le dérèglement climatique relève, en Afrique, d’une urgence absolue, ce financement ne doit pas se faire au détriment de la lutte contre la pauvreté. Financer en même temps la lutte contre la pauvreté et la transition écologique, tel est l’objectif martelé par Emmanuel Macron, lors du Sommet de Paris, ce qui passe par une refonte du pacte financier mondial.

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  • « Consensus de Washington » : les économistes et experts du FMI et de la BM, proposeront, lors d’un séminaire qui se tient à Washington, en 1980, l’application des recettes néo-libérales, afin de stabiliser les économies émergentes : privatisation, ouverture des marchés, contrôle de l’inflation, rigueur budgétaire. Ces recettes néolibérales s’opposent au « consensus keynésien » à l’œuvre depuis les années 1970. Appliquée avec rigueur, dans les années 1980-2000, la doctrine du « Consensus de Washington » montre ses limites. A partir de 2000, le FMI et la BM vont infléchir leur discours et admettre l’inadéquation entre les politiques d’austérité et de dérégulation imposées aux pays en développement en échange de leur soutien et les besoins de relances budgétaires et de régulation.
  • Joseph Stirglitz, Prix Nobel d’économie en 2001, ancien Chef économiste de la Banque Mondiale : « La Grande Désillusion » (2002), ouvrage qui dénonce les principes du Consensus de Washington.
  • La « Nouvelle Banque de Développement », dont le siège est à Shangaï, dispose d’une « réserve d’arrangement de devises » à hauteur de 100 milliards de dollars. La Chine donne 41 milliards, la Russie, l’Inde et la Russie, 18 milliards chacun ; l’Afrique du Sud, 5 milliards. Qui paie, commande. La Chine voudra commander.
  • BRICS : acronyme qui désigne l’alliance de 5 pays (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui se réunissent depuis 2011. En 2023, les BRICS représentent 40 % de la population mondiale, 31,5 % du PIB mondial, contre 30,7 % pour le G7.
  • Emmanuel Macron souhaite participer au Sommet des BRICS, ce qui « constituerait une première dans les pratiques adoptées jusqu’ici aux Sommets des BRICS », selon Mme Naledi Pandor, cheffe de la diplomatie sud-africaine.
  • Dans la mythologie, les Danaïdes, arrivées aux Enfers, sont condamnées à remplir éternellement des jarres percées pour remplir un bain sans fond. Qui remplit le tonneau sans fond de l’endettement de l’Afrique ?
  • 152 millions d’hectares de forêts, 70 % de la surface terrestre de la RDC couverte de forêts, 60 % du couvert forestier du Bassin du Congo (6 pays : Cameroun, Centrafrique, RDC, Congo, Guinée équatoriale, Gabon).

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