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Réforme du secteur agricole, RDC : le Centre de Recherche CERPECS ASBL propose    sept recommandations majeures  

Par La Prospérité
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Ignace Twite, Secrétaire Général & Barthos Bikakala, Secrétaire Général Adjoint   du  Centre de Recherches    CERPECS ASBL                                                          

  1. Etat de la question

La RDC est un vaste pays à vocation agricole avec une population dont la majorité vit en milieu rural et dépend essentiellement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche.

En dépit de ses grandes étendues de terres arables, son réseau hydrographique, sa diversité de climats, elle se classe parmi les pays déficitaires en matière agricole et de sécurité alimentaire.

Afin de combler le déficit longtemps observé dans ce secteur, le parlement a adopté en 2011, la loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux de l’agriculture, prenant en compte les objectifs de la décentralisation, intégrant à la fois les diversités et les spécificités agro-écologiques.

L’objectif de cette réforme consistait à redéfinir les conditions du financement du secteur agricole, de la formation continue de notre jeunesse, de la recherche agronomique, de l’implantation des filières bien organisées, partant de la semence à la commercialisation de produits, en passant entre-autres par leur transformation.

Parmi les innovations apportées par cette loi, nous pouvons citer :

  1. La création d’un Fonds national de développement agricole et sa gestion en synergie avec les institutions financières bancaires et non bancaires ;
  2. L’implication des agriculteurs et des professionnels du secteur agricole dans le processus décisionnel ; ce qui justifie la création du Conseil consultatif aussi bien au niveau national, provincial que local.

2. Contraintes spécifiques du développement de l’agriculture

Globalement, les contraintes institutionnelles ont, de tout temps, brisé les efforts de transformation des structures économiques que la RDC a héritées de l’époque coloniale, détériorant les équilibres macroéconomiques et ramenant le PIB en-dessous de son potentiel de croissance. 

C’est à juste titre que l’économiste Peter Bauer préconise la réforme de l’ensemble du système, parce qu’en ce qui le concerne, la crise et l’insécurité en Afrique résulte de la persistance des structures socioéconomiques archaïques, sous forme d’une économie de quasi-subsistance, en l’espèce, un système économique dualiste et extraverti,  à mi-chemin entre le moderne et le traditionnel, le formel et l’informel, axé sur les priorités de la métropole, sans participation de la majorité de la  population aux chaines de valeur nationales et mondiales. (F&D, juin 2001, p. 59)

Ainsi, le chemin à parcourir pour atteindre l’émergence économique est très rocailleux.  D’un revenu de 562 USD, il faudrait réaliser le miracle de dépasser le cap de 10.000 dollars par habitant pour espérer atteindre le minima des pays émergents.

Quel que soit le secteur économique à redynamiser, la théorie néoclassique pose l’hypothèse de l’existence d’institutions fondamentales : respect des contrats, protection de la propriété intellectuelle, système juridique efficace, information parfaite, organes de régulation et d’investigation, libertés publiques, Etat de droit (transparence dans la gestion des finances et biens publics, adjudication des marchés publics, neutralité de l’Administration…). 

Particulièrement, le développement de l’agriculture est entravé par les distorsions propres à ce secteur, notamment les incohérences de la politique agricole   postcoloniale, le problème de coordination des marchés ainsi que les contraintes techniques d’exploitation agricole.

Les contre-performances observées ne sont pas toujours liées à la pénurie de terres, pas plus qu’à la surpopulation mais, au blocage de la mutation du secteur agricole et à l’insuffisance de sécurité publique. Partout en Afrique subsaharienne, les structures socio-économiques dualistes et extraverties, instaurées par la colonisation persistent de nos jours. (www.economie-developpement.com)

Aussi, les politiques mises en œuvre ont-elles été entachées de beaucoup d’erreurs et de contradictions. L’on a cherché  tout à la fois à assurer l’autonomie alimentaire, la stabilité des prix intérieurs, l’augmentation de l’emploi, du  revenu et de la production agricoles, tout en maintenant bas les prix à la consommation des produits alimentaires ainsi que les salaires agricoles, en taxant fortement la production agricole et en négligeant l’agriculture vivrière.  (Schiff M. et  Valdes A.).

D’une part, l’exode rural a gangrené l’appareil agricole hérité de la colonisation, d’autre part,  la baisse constante des revenus des agriculteurs, la détérioration des termes de l’échange de produits d’exportation, la désorganisation du marché, la dégradation des voies de communication et les difficultés d’évacuation de la production, la protection des marchés des pays industrialisés, le développement des produits de synthèse ont dès lors engendré des distorsions socio-économiques graves.  Pire, l’invasion des produits agricoles étrangers largement subventionnés et de dons de nourriture ont déprimé les prix internes et la production endogène.

 Tandis que la présence d’une multitude d’intermédiaires (réseau de racket entretenu par les dépôts privés et mamans manœuvres) ou même des organismes publics spéculant à la baisse, au niveau des producteurs, et à la hausse, au niveau des consommateurs, et la disparition du milieu rural des biens manufacturés naguère puissants  stimulants (biens fournis par le réseau commercial rural jadis tenu par les portugais et les grecs), ont fini par décourager les producteurs. (Tiker Tiker, 1980)

Et pour comble, l’extraversion de l’industrie manufacturière et des entreprises de la grande distribution (supermarchés) exclusivement orientées vers les importations de biens et services, influence négativement le monde rural : marginalisation des ruraux, effondrement de la production vivrière et, à leur corps défendant, exode, urbanisation sauvage, chômage, famine, insécurité…

Cette détérioration de l’appareil de production a, à titre de conséquence, achevé le cloisonnement  de deux secteurs,  moderne et traditionnel, ou plutôt, scellé la rupture entre les villes et les campagnes. (Lutete, A., « Les atouts du coopératisme africain, 2007)

Avec le recul du temps, le fin mot de l’histoire est que le système socioéconomique congolais était déjà en déliquescence avant l’indépendance, en 1958, et nécessitait un apport important des capitaux pour financer un nouveau plan décennal.  De même qu’aujourd’hui, force est de reconnaître que les distorsions socioéconomiques analogues appellent l’organisation d’un forum national en vue de nouvelles orientations sur la gouvernance et d’un plan stratégique de développement communautaire.

De manière péremptoire l’économiste Arthur Lewis affirme qu’il n’y a pas développement sans mutation agricole préalable, spécialement la réforme de la production vivrière.   D’autant plus que l’une des fonctions principales de l’Etat est d’assurer la sécurité alimentaire, par-delà la défense nationale.  Aussi, le gouvernement se doit-il de mettre en place un système pour répondre aux besoins alimentaires des populations.  Il ne s’agit plus de planifier la croissance statistique du secteur agricole, mais plutôt d’institutionnaliser l’agriculture, à travers un vrai contrat social entre le pouvoir central, les provinces, les ETDs, les populations regroupées dans les coopératives, les investisseurs privés et les partenaires extérieurs suivant le modèle français ci-après.

  • Institutionnalisation de l’agriculture française

En France, la politique agricole commune (PAC) est implémentée au travers d’un système démocratique fédérant les agriculteurs, au niveau de chaque circonscription, en vue d’assurer leur participation dans la conception, le choix, le dimensionnement et la mise en œuvre de projets de développement.

Au niveau local, les paysans sont regroupés dans des chambres d’agriculture, véritables parlements des élus ruraux  où les questions concernant l’agriculture et le développement rural sont débattues et des orientations sont formulées à l’attention de l’Exécutif provincial ou local.    

Au niveau national, l’Assemblée Permanente des Chambres Agricoles (APCA) appuie le réseau des Chambres d’agriculture locales en leur apportant le know-how dans les domaines opérationnels, pour favoriser les synergies au sein du réseau et aider les équipes locales à développer durablement la performance de leurs entreprises.

Dans son rôle de tête de réseau, l’APCA assure la formation de collaborateurs et des élus, encadre les chambres pour l’innovation en collaboration avec les instituts techniques et de recherche. Cela se réalise notamment sous forme d’appui aux groupes d’agriculteurs novateurs, d’implication dans les réseaux de fermes de référence et de stations expérimentales (parc agroindustriel), de participation à des programmes de recherche, aux pôles d’excellence ruraux et de compétitivité…

Le réseau des chambres d’agriculture a été créé en 1920 pour être un interlocuteur privilégié des instances publiques et pour représenter les intérêts du monde agricole.  Il contribue depuis les années 1960 au développement agricole,  en  reprenant la mission publique assumée jusque-là par l’Etat.  Présentes dans chaque département et chaque région, les chambres d’agriculture sont des établissements publics dirigés par 4.200 élus professionnels, représentants de diverses activités du secteur agricole et forestier.

Comme développé supra, l’Europe s’est dotée d’institutions agricoles à la mesure de l’importance de ce secteur dans la marche de ce continent.  Comparativement à  cet effort de guerre contre la faim, l’Afrique n’en est qu’aux balbutiements de politiques de  développement agricole.  Loin est encore la perspective d’une remise de pouvoir aux assemblées de producteurs ruraux en vue de leur participation à la gestion de leurs terroirs.

Et le loup est à la porte.  Dans le monde entier, plus de 46 millions d’hectares de terres agricoles ont été achetés par des étrangers, et pour la grande part en Afrique (Kachika, 2011).  Cette mainmise sur les terres a exproprié de chez elles ou réduit en esclavage sur leurs terres des millions de personnes, et menace la sécurité alimentaire et la subsistance des Africains les plus pauvres. Mais les gouvernements n’osent pas remettre en question le système.  Pour Kumi Naidoo, la mondialisation a fait des milliards de perdants en Afrique.    (Kumi Naidoo, F&D, décembre 2016, p. 37).

Après avoir tout bradé, le Brésil cherche laborieusement, à coups de décrets, à restituer aux populations autochtones leurs terres spoliées.

Qu’on ne s’y méprenne pas, le développement de l’agriculture ne se réalisera pas en Afrique, tant que les agriculteurs ne participeront pas aux politiques et décisions  touchant le monde rural.  Les slogans politiques, la réalisation de grands projets agroindustriels ou même l’amélioration des routes et infrastructures rurales n’y apporteront rien, aussi longtemps que les populations agricoles ne seront pas fédérées dans les assemblées locales délibérant sur toutes les questions liées au développement de leurs localités.  A cet effet, il est impérieux d’organiser une vraie conférence nationale sur la gouvernance économique.

A titre indicatif, le football, un hobby pour le peuple, est démocratiquement mieux structuré que l’agriculture.  Sur base des contrats de performance et se fondant sur un plan de développement à moyen et long termes, la loi sportive délègue les pouvoirs aux fédérations avec des ramifications au niveau local : ligues locales, sociétés à objet sportif, cercles des fans, commissions techniques et de discipline, arbitrage. (www.cerpec-cooperative.com

Par comparaison avec ce sport, l’institutionnalisation de l’agriculture est encore embryonnaire. D’où l’urgence de mener des actions politiques ayant pour objet la répression de l’économie de subsistance, par la popularisation des écoles professionnelles dont celle de l’agriculture. (Lutete, A.,” Le nouveau système coopératif africain”, 2018)

  • Réinvestissement des revenus miniers dans la diversification de l’économie

La réforme du secteur agricole devrait être intégrée dans celle de l’ensemble des politiques macroéconomiques.

En effet, l’amélioration de la gouvernance du secteur minier et des hydrocarbures pourra contribuer à la maximisation des recettes publiques et leur affectation prioritaire aux investissements dans les secteurs stratégiques notamment, l’agriculture, en vue d’enclencher la croissance économique, ainsi que l’amélioration du bien-être collectif indispensable à la consolidation de la paix.

La démarche consiste à réinvestir une bonne part du revenu minier à l’investissement dans les infrastructures et dans l’accroissement du rendement à l’hectare dans le secteur de l’agriculture vivrière, ainsi que dans l’industrie de transformation locale, en priorisant la professionnalisation et l’autonomisation des populations rurales.  L’objectif serait d’accroître la capacité productive de l’économie nationale afin de satisfaire les besoins alimentaires nationaux et soutenir la demande interne de produits de base originellement destinés à l’exportation, comme ce fut le cas de 2001 à 2007 dans les pays émergents, notamment la Chine et l’Inde.

Dans cette perspective, il serait judicieux de réaffecter les 2 milliards de dollars US actuellement consacrés chaque année à l’importation des denrées alimentaires, à booster la filière nationale de production et distribution des produits de l’agriculture, pêche et élevage, particulièrement la substitution du blé au manioc dans la panification et celle des produits surgelés par la production locale.

De ce point de vue, la réforme du secteur agricole ne devrait pas se fonder sur l’expansion des produits d’exportation liés à l’époque coloniale (café, cacao, hévéa, coton, banane…) dont la demande sur le marché international stagne et les prix s’effondrent, faisant malencontreusement la misère des planteurs comme en Côte-d’Ivoire.   Pas plus qu’il ne faudrait négliger la réforme agraire devant attribuer des concessions de terres aux populations rurales, afin qu’elles disposent d’actifs et de la confiance dans ses aptitudes à s’engager dans de grands projets agricoles.

Au lieu d’instituer des allègements fiscaux spécifiques au secteur agricole, l’Etat est appelé à objectiver la diversification de l’économie dans le soutien de tous les secteurs productifs, par la suppression de 80 % des taxes, redevances, droits d’enregistrement et impôts non rentables, tout en rationalisant la perception de la TVA à travers le déploiement d’un réseau informatique de constatation et recouvrement.

En fait, les réformes macroéconomiques devront s’articuler autour de deux axes : la restructuration socioéconomique et la promotion de l’esprit d’entreprise par le recours au système coopératif, sur fond d’une économie solidaire et démocratique.  Le nouveau paradigme coopératif aura le mérite de réorganiser et professionnaliser les populations vivant actuellement dans le secteur informel et rural, pour produire ne fût-ce que les biens à moyenne technicité et les denrées alimentaires. C’est une entraînante vision d’avenir pour les populations actuellement livrées aux activités de survie. (www.cerpec-cooperative.com

C’est dans ces conditions que la RDC pourra amorcer un cycle vertueux d’investissement et de croissance largement partagée en phase avec les objectifs de développement durable (ODD des Nations Unies).

 En ce qui concerne particulièrement la réforme de l’agriculture, il faudrait que le code de l’agriculture mette en œuvre un cadre harmonieux de coopération entre le Gouvernement, les provinces et ETDs, les agriculteurs, les populations regroupées en coopératives, les investisseurs nationaux et étrangers, ainsi que les partenaires multilatéraux et bilatéraux.

Il est d’une nécessité impérieuse de structurer le secteur agricole avec des institutions qui permettent aux populations rurales de piloter elles-mêmes le secteur agricole.  Dans cette optique, des assemblées d’agriculteurs placées auprès des provinces et ETDs qui culminent au niveau de la fédération de l’agriculture au niveau nationale, pourront donner aux paysans de participer aux orientations et décisions concernant la mutation agricole et le développement rural à l’instar de l’Assemblée Permanente des Chambres Agricoles (APCA) qui appuie le réseau des Chambres d’agriculture locales en France.

Tandis que l’adoption du système coopératif comme fil conducteur de la loi modifiant et complétant la loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux de l’agriculture, inciterait les populations à se réorganiser et se professionnaliser dans les sociétés coopératives  à promouvoir dans toutes les branches de l’économie rurale.

De ce point de vue, la réforme coopérative est une approche tridimensionnelle comprenant les trois actions combinées, à savoir :

  • la réforme du système éducatif avec un accent particulier sur l’agriculture, le coopératisme, le numérique, les innovations technologiques et la morale ;

la réforme agraire et la coopération agricole ;

  • la réforme du système financier national par la modernisation de la banque centrale, et le déploiement de la microfinance, aux fins de la bancarisation des segments de la population jusqu’ici sous-bancarisés.

Cependant, l’expansion de l’agriculture partira de l’accroissement de la productivité et l’intégration du marché national des produits vivriers avec la promotion des coopératives agricoles ; l’augmentation des revenus des ruraux les amenera à épargner et investir dans les autres secteurs de diversification de l’économie rurale (habitat, production de biens de moindre niveau technologique, santé, énergie, eau et assainissement, cantonnage manuel des routes, protection civile, éducation et culture…)

En toute urgence, le Gouvernement devra initier ce processus en dotant chaque territoire d’infrastructures d’exploitation de la chaîne de valeurs agricoles : réseau interconnecté d’entrepôts avec commissaires à la standardisation, qualité et titrisation des stocks, abattoirs publics, chambres froides, plate-forme informatique de ventes en ligne…

Par ailleurs, il faudrait que la réforme agricole participe de stratégies de résolution du sempiternel problème d’insécurité qui empêche les ruraux d’investir et d’étendre leurs activités.  Dans le cadre du relèvement économique local en situation post-conflit notamment à l’Est de la RDC, le gouvernement devrait organiser le service national universel dans chaque territoire, en vue de former les populations rurales dans le système de protection civile. 

Ainsi, les paysans pourront créer à côté de leurs coopératives agricoles, les coopératives de gardiennage qui constitueront le réseau de sécurité dans les campagnes en collaboration avec la gendarmerie nationale. 

 En dernière analyse, l’apport de la doctrine coopérative ramènera le pilotage du plan de développement socioéconomique au niveau des collectivités locales, lesquelles s’affirmeront désormais comme les pôles territoriaux de développement communautaire et solidaire, sans exclusive, ni discriminations ethniques, tribale, raciale, ni religieuse.

Et, à la bonne heure, la promotion des coopératives dans l’agriculture, combinée avec l’attribution de titres de propriété foncière aux groupements des peuples ruraux, assurera la mutation des paysans en entrepreneurs agricoles, spécialement l’autonomisation de la femme et son émancipation en tant qu’agent principal du développement rural, au grand renfort des dispositions constitutionnelles relatives à la parité.

Fait à Kinshasa, le 2 mai 2023

Pour CERPECS ASBL,

Barthos Bikakala, Secrétaire Général Adjoint                                                                     Ignace Twite, Secrétaire Général

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